Jeûne de printemps

lampes chinoises et théiersChaque année, je fais deux pauses dans la façon aléatoire de me nourrir.

Une au printemps et une cure de raisin en automne.

Cela a commencé avec une pratique intensive du yoga. Je m’étais inscrite en 2002, innocemment à un stage de chant. Du moins, c’est ce que je croyais, suite à une démo impressionnante dans un salon bien-être. Une sorte de jeu autour de la voix, qui transcende le moment. Je ne suis pas une personne qui chante, ni dans la voiture, ni sous la douche, pensant chanter comme une casserole. Chanter faisait partie de ma liste : impensable-impossible alors fais-le un jour ! Quelques mois plus tard, me voilà dans un chalet, endroit de vie du professeur, dans les Alpes suisses. Nous avons commencé par laisser nos portables dans un placard. C’était une règle stricte. Et ce pour la semaine. Ce n’était pas un smartphone et toutes les connexions possibles, mais quand même, je laissais mon fils de 4 ans à Nice.

Puis, après un tour de chauffe de la voix, nous avons pratiqué du yoga, je n’en avais jamais fait de ma vie ! et je comprends assez vite que c’est l’essentiel du stage. Le chant n’étant que la cerise sur le gâteau. Au fond de moi, je peste quelque peu, je suis née en France et râler fait partie de mes acquis. Le rythme est intense et croissant, petit à petit nous sommes entrés dans une pratique qui incluait même de se réveiller la nuit pour faire des suites d’exercices. Les repas ayurvédiques préparés devant nous par le professeur lui-même, passaient par des paliers. Certains types d’aliments disparaissaient au fur et à mesure. Comme le fromage, cette mozzarella sur les salades qui nous a tant manquée ! Le sucre aussi. La viande n’était pas au menu. Les épices broyées à la minute manuellement. Je retrouve par cette expérience le goût des fruits par exemple, qui se perdait dans mon alimentation très riche en sucre blanc. Manger une pomme me semblait si fade. Là, c’était à la limite trop sucré. Je vivais en direct l’impact de l’alimentation sur la façon de se mouvoir et de ressentir le corps. A chaque pallier, nos corps devenaient plus souples, répondant plus précisément aux consignes, plus gracieux même. La subtilité entrait dans le corps. Je n’avais jamais médité non plus. Bon pendant les séances de méditation, je m’endormais copieusement. La conscience nouvelle de la respiration.

Il y avait aussi des massages thérapeutiques, moi qui ne supportait aucun contact fortuit avec l’inconnu, là, je n’ai pas bronché. Puis un jour de silence total. Tout cela en une seule semaine qui a changé ma vie. Je pense que le professeur ne dormait pas, entre les cours de plus de 7h par jour, sans compter ceux de nuit, les repas qu’il nous préparait, les massages prodigués à chacun, les échanges autour de ses pratiques : un véritable homme orchestre.

Je découvrais tout cela d’une façon confiante et passive. A la fin de cette semaine incroyable, j’ai décidé de venir régulièrement aux stages de week end, pour approfondir cet état de conscience. J’avais du temps, de la disponibilité, de l’argent en réserve.

Je voulais expérimenter mon corps oublié.

Je me suis mise à manger bio. J’ai suivi pendant plus d’un an, les conseils en alimentation de ce professeur, pour accompagner nos pratiques de yoga. Cela passait par des jours entiers à manger des aliments d’une même couleur, fruits et légumes essentiellement, des périodes de 30 jours au moins de riz complet seulement, avec un assaisonnement préparé par nous-même à chaque repas, un mélange broyé de noisettes grillées, de sésame, un peu de sel, du gomasio maison. J’avoue je mangeais plus du gomasio au riz que le contraire. Ma nature excessive se manifeste même dans la contrainte. C’était la marge de manœuvre nécessaire pour tenir. Je maigrissais à vue d’œil, je bougeais d’une autre façon, moins automatique. L’esprit plus vif. C’est là que s’est instauré le rituel de la cure de raisin. Dans ce contexte, c’était du pain béni. Enfin de la luxuriance ! Il faut vous dire, en tant qu’adulte, je mangeais très peu de fruits et légumes, par désintérêt, et jamais de raisin. En revanche, là, dans ce contexte, la cure de raisin, c’était Byzance : du sucre à profusion, manger à satiété sans aucune sensation de manque, de fatigue. Une sorte de délivrance du trop plein. J’ai appris en regardant ce prof nous préparer les repas, à cuire le riz complet, pour se débarrasser des éléments inutiles. Le faire tremper 10h, le rincer 3 fois à l’eau froide et 3 fois fois encore à l’eau chaude. Puis le cuire à feu doux avec très peu d’eau. Al dente. Parfois du gomasio enrichi en algues : un délice. Et tout un protocole qui m’a donné le sens du respect des repas. Se nourrir influence tellement la façon de penser et d’agir.

J’ai arrêté au bout d’un an, parce que c’était très dur ces changements extrêmes que cela supposait. Mon humeur était plus trempée encore, je ne pouvais plus manger avec qui que ce soit, à part mes compagnons de fortune du même professeur, nous nous retrouvions pour partager nos errances, nos travers, et nous mangions de la même manière. Je ne savais pas quoi faire encore de cette énergie supplémentaire. Il me manquait des sensations, le sucré, le craquant des aliments comme le pain. J’avais surtout besoin de sortir de la contrainte et de savoir ce qui était bon pour moi sans influence extérieure.

Revenue à la nourriture chaotique, je refais parfois du riz de cette façon, pendant une journée, pour reposer mon estomac du grignotage intempestif et de ma gourmandise légendaire. Et à chaque intersaison, je réduis pendant un temps donné et court. Pour me rappeler.

J’ai un programme pour le printemps, de réduction progressive des aliments lourds à digérer. Jusqu’au jeûne total de 2 ou 3 jours selon. Idéalement, cela devrait se passer proche de la nature, pour pouvoir marcher, être au calme, sans aucun devoir social. Mais, je fais au mieux en temps que maman et dans ma vie urbaine. Je vais à la plage, ou sur la colline du château. Je me sens tellement bien pendant ces jours-ci. Mon esprit vagabonde ailleurs, trouve d’autres pistes. Je respire mieux. La seule exception à la règle, c’est que je n’arrête pas le thé tant que je mange encore. Celui que je prends et choisis pour m’accompagner, est d’une source que je connais et dont je suis certaine, aussi exigeante que ce prof de yoga intensif, produit avec grand respect de la nature.

En écrivant cela, je me rends compte que cette découverte par le biais du yoga, est un des fondamentaux de mon projet de thé, tel qu’il est aujourd’hui.

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